Boris, co-fondateur d’Etika Mondo, sur la niche écologique des humains 

Pendant des milliers d’années l’être humain a vécu dans sa niche écologique. Puis, il s’en est affranchi avec la civilisation thermo-industrielle, pour aujourd’hui toucher la limite de son modèle de développement. L’expérience d’Etika Mondo consiste à vivre de ce que procure la nature, tout en enrichissant la biodiversité. Il ne s’agit pas d’un retour à un mode vie ancestral, mais d’une innovation à travers le prisme de la modernité, pour un futur désirable.

Boris  : Peux-tu nous parler de l’histoire d’Etika Mondo et des raisons pour lesquelles tu as créé en famille cet écolieu ?

Cap sur l’Éco-volontariat : Avec ma compagne Émile, nous sommes depuis très longtemps  sensibles à la nature et à la protection de l’environnement. Nous avons eu très vite, avec l’arrivée des enfants, la volonté de créer un écolieu. On a essayé d’abord de le faire de manière collective, mais c’est assez compliqué. Nous nous sommes donc lancés en famille car nous formions à tous un petit collectif, qui s’est peu à peu agrandi. Aujourd’hui, nous sommes cinq adultes et quatre enfants à vivre en permanence sur place.

On cherchait un lieu avec une bâtisse et des terres pour mener à bien le projet. Il y avait tout à restaurer, le petit mas Cévenol ainsi que les anciennes terrasses qui étaient effondrées. L’idée est de concevoir un petit espace qui réponde aux besoins humains, tout en améliorant la biodiversité. Concrètement, au lieu d’aller acheter une salade bio au marché, on produit la salade bio pour voir l’impact que l’on a sur notre écosystème. Si on a besoin d’une poutre, par exemple, avant de couper un arbre on se pose la question de l’espèce que l’on va couper et à quel endroit.  Cela permet de ne pas déléguer ses choix à d’autres marchands. Chercher à tout faire sur place permet de prendre conscience de l’énorme travail qu’il faut fournir pour subvenir à nos besoins et de notre impact sur la nature.

Le collectif est-il arrivé au stade de l’autonomie ?

Disons que nous sommes sur le chemin de l’autonomie. Nous avons encore beaucoup choses à faire, d’autant plus que nous accueillons de nombreuses personnes sur site, notamment pendant les stages. Nous avons également besoin de temps pour réfléchir aux bonnes décisions à prendre pour trouver notre niche écologique. Norte objectif est de vivre de ce nous procure la nature, tout en enrichissant la biodiversité. 

Qu’entends-tu par niche écologique ?

Lorsqu’un écologue étudie une grenouille, par exemple, il observe sa niche écologique, c’est-à-dire l’ensemble de ses comportements avec son environnement pour répondre à ses besoins. Nous, on a décidé d’observer l’humain, qui reste un animal, avec le prisme de la niche écologique. Cela n’empêche pas la recherche du confort et de la beauté. Nous avons trois mots forts à Etika Mondo qui plaisent beaucoup aux stagiaires : écologie, confort et merveilleux. 

En quoi l’écolieu Étika Mondo est-il un prototype ?

Aujourd’hui, la niche écologique humaine n’est plus. Nous touchons-là à une limite de notre civilisation. Au sein de notre écolieu, nous cherchons des solutions. Pour nous, un écolieu est un prototype dans le cadre d’une expérience d’écologie humaine. Si ça marche, on pourra discuter avec des communes et des agglomérations, voire des régions pour qu’elles favorisent la bascule de leur territoire en écoterritoire. 

Le projet a-t-il une dimension scientifique ?

Nous travaillons avec des scientifiques de l’école des Mines et du parc national des Cévennes. Un ingénieur de l’école des Mines-Alès a mené son projet de fin d’études sur les questions thermiques du mas. Il voulait comprendre comment d’une maison paysanne, on évoluait vers une maison passive. Il est maintenant un habitant permanent et il continue de développer le partenariat entre l’école des Mines et Etika Mondo. Actuellement, nous avons 3 élèves des Mines en mission pour travailler sur un prototype low tech de chauffe-eau solaire.

Peut-on parler de retour à un mode de vie ancestral ou d’innovation ?

L’école des Mines-Alès comme la Région Occitanie ou le parc national sont agréablement surpris du volet innovation que l’écolieu amène sur la table.  Nous pouvons donc parler d’innovation ! C’est exactement comme à l’époque de la Renaissance. Dans le Haut Moyen Âge, les philosophes qui ont fuit la prise de Constantinople arrivent avec des livres de philosophes de l’Antiquité comme Aristote ou Platon. L’intelligentsia de l’époque va observer la grande Rome, la Grèce, la Perse et les Égyptiens. Ils vont s’intéresser à l’astronomie et la démocratie qui était à l’époque une démocratie de cité. Il va y avoir petit à petit l’émergence du siècle des Lumières, avec l’idée de démocratie et de Nation.

Le modernisme s’est construit sur un regard dans le passé, mais n’a reconstruit ni Rome ni Athènes. Nous, c’est un peu la même chose. On pense que sur les 3 millions d’années d’existence des hominidés, et sur 250 000 ans d’existence d’homo sapiens, il y a eu toute une période où les humains ont vécu dans un niche écologique. On observe cela avec beaucoup d’intérêt sans pour autant vouloir retourner dans les grottes avec le pagne ! On pense que si on prend les savoir faire de l’époque, tout en les passant au prisme des sciences de l’ingénieur et de l’écologie, on peut déboucher sur quelque-chose de nouveau. 

Penses-tu qu’il faille sortir des échanges marchands ?

C’est une grande question à laquelle je ne sais pas répondre ! Aujourd’hui, il est clair que nous sommes trop dans le tout marchand. Ayant passé un MBA, je sais comment fonctionne la finance internationale. Le problème aujourd’hui, c’est que la recherche des profits passe avant les valeurs. L’expérience d’écolieux capables de sortir du système marchand pour tester une niche écologique, me semble essentielle. Cela permettra des mises en perspective sur notre avenir. Au vu des enjeux qui nous traversent en géopolitique ou concernant réchauffement climatique et la perte de la biodiversité, je pense qu’il faut savoir faire un pas de côté avec notre civilisation. 

Quel est ton regard sur le voyage ?

Le voyage est essentiel. Selon moi, persiste une grande question : « est-ce que l’être humain est vraiment fait pour être sédentaire sur le très long terme ? » La sédentarisation amène d’énormes avantages, mais cela fait seulement 10 000 ans que nous la pratiquons sur un peu plus de 250 000 ans. Autant j’estime que l’ancrage territorial est très important dans le cadre d’une expérimentation telle que nous la menons, autant je pousse mes enfants à voyager, car le voyage forme la jeunesse. Bien entendu, il existe des enjeux quant au bilan carbone, au tourisme de masse et au phénomène d’acculturation des pays hôtes.

Il y a une critique du voyage qu’il faut entendre, accepter, et qui doit amener de l’innovation. Ce n’est pas parce que l’on ne peut pas voyager en avion, que l’on ne peut pas voyager en bateau. Actuellement, de nombreuses sociétés se développent pour remettre au goût du jour le bateau à voile. Il y a une façon de voyager qui doit se réinventer. Il faut bien se poser la question de savoir qu’est-ce que j’ai envie de fuir, qu’est-ce que je cherche… Souvent les deux sont liés. Il est temps de quitter le voyage de consommation pour un voyage plus initiatique. Dans notre collectif on voyage tous, mais pas forcément très loin.

Ne faut-il pas réinventer de nouveaux imaginaires ? 

Je ne suis pas tout fait d’accord avec les récits qui sont trop imaginaires. Il est important de passer du fantasme à la réalité. Je regrette que dans nos milieux, beaucoup de gens parlent d’écologie, manifestent, et lorsqu’on appelle un peu à l’aide pour avoir un coup de main sur le terrain, très peu de personnes se rendent disponibles. A un moment donné, il faut agir de façon à ne pas laisser la place à ceux qui font. Et aujourd’hui, ceux qui font construisent des grandes surfaces, favorisent l’industrie génératrice de déchets, donnent la priorité à l’armement pour la guerre…  L’imaginaire a un rôle essentiel dans nos sociétés, mais encore faut-il qu’il soit basé sur des réalisations concrètes.

Une personnalité comme Cyril Dion que j’aime beaucoup, élève de  Pierre Rabhi doté d’un esprit brillant, ne tire finalement pas beaucoup de leçons de son enseignement. Pierre Rabhi nous faisait rêver, mais il faisait. Pareil pour Jové Bové ou Vandana Shiva. On avait une génération de faiseurs intellectuels. Aujourd’hui, on a énormément de conteurs, de gens qui font des récits de manière très qualitatives, mais dans leur quotidien, ils incarnent le « bobo de la ville ». Du coup, les gens qui travaillent et transpirent ne se reconnaissent pas dans ces récits. Eux, rentrent dans leur HLM, ont leur crédit à payer, doivent se déplacer en bagnole avec une essence qui augmente. Tous nos récits sur l’écologie ne sont plus crédibles à leurs yeux. Ils nous prennent pour des doux rêveurs. Je pense qu’il est urgent de passer du rêve à la réalité. Si les 100 000 marcheurs pour le climat agissaient concrètement pour des projets écologiques de terrain, les choses seraient différentes.

Tous les étés, le collectif organise des stages au sein de l’écolieu…

Nous avons la passion de l’écologie et notre objectif est de transmettre cette science de façon très concrète. Les stages sont ouverts à tous, même aux familles et se déroulent sur 5 jours. Nous proposons des cours théoriques pour expliquer comment fonctionne la nature, en alternance avec des ateliers sur le pain au levain, le potager, les low tech, la menuiserie, la rénovation, le génie écologique… Les gens aiment bien cette alternance entre la théorie et le faire. On touche un public qui a besoin de souffler, de s’oxygéner, de se ressourcer, un public qui a envie de passer des récits angoissants ou merveilleux au concret et au faire. En cinq jours, les stagiaires ne sortent pas en sachant faire un potager, mais ils ont fait le tour des savoirs faire essentiels d’un écolieu. On a de nombreux jeunes qui ont trouvé leur voie après le stage. Des personnes, juste en voyant que c’est possible, on décidé de franchir le cap pour réaliser leur idéal. Cela me touche énormément.

Quelle est ta vision du monde de demain ?

J’ai un côté un peu dark dans ma vision du futur car, j’ai du mal à croire que l’on va tenir encore longtemps avec le mode de vie actuel de notre civilisation. Je suis dubitatif sur le fait que nous serons 12 milliards sur Terre demain. J’ai peur que l’on soit beaucoup moins. 

Là où je suis plus positif, c’est que nous avons des moyens énormes pour changer les choses en peu de temps. Grâce à la science de l’écologie, j’espère que, pas à pas, les écolieux vont être des exemples pour de nombreuses personnes et des villes entières. Dans notre vision de l’avenir, nous voyons plus une société qui s’appuie sur un réseau de villages très confortables, construits avec du bois, de la pierre, de la paille et non du béton, des poubelles et des voitures. Malheureusement le changement climatique et la guerre vont nous secouer. Je suis sûre que dans ces tempêtes qui nous attendent on va voir des élans très forts écologiques et solidaires. Je vois dans l’avenir des milliers de personnes qui se réunissent non plus pour manifester, mais pour mener des actions collectives pour nettoyer les rivières, améliorer les forêts, aider les pauvres et les personnes isolées… Je pense que la prochaine civilisation c’est celle de l’écologie. L’avenir se dessine maintenant.

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