Anne Lise Cabanat est responsable du programme OSI-Panthera chez Objectif Sciences International. Depuis 2014, elle organise et encadre les missions Panthera pour l’ONG au Kirghizstan et au Népal. Ces expéditions scientifiques sont ouvertes à toutes et à tous grâce aux vacances scientifiques. Il suffit d’être motivé par la science et la protection de la biodiversité et d’avoir un tantinet l’esprit d’aventure ! Rencontre avec Anne-Lise au coeur des Pyrénées Ariégeoises, son pays natal. Pour participer à la mission en Kirghizstan, c’est ici pour la mission au Népal c’est ici.
Depuis quand êtes-vous engagée dans l’étude de la Panthère de neiges ?
Tout commence alors que j’avais tout juste 16 ans et suivais des études en sport-étude option ski alpin. Il se trouve qu’à cette époque, mes performances baissaient et ma place en sport-étude était remise en question. Mes parents ont donc cherché pour moi des vacances atypiques et utiles, pour me changer les idées. C’est là que j’ai découvert l’expédition Panthera. Je suis partie à 16 ans au Kirghizstan sur les traces de la Panthères neiges. Pendant quatre semaines, avec trois jeunes de mon âge, j’ai été en immersion dans un milieu que j’affectionne tout particulièrement, la montagne. Animés par la même passion, nous avons tous partagé des moments intenses avec les garde-chasses du Kirghizstan et nos éducateurs scientifiques. A la fin, nous formions une petite famille !
Cette aventure a changé ma vie
Cette mission a changé ma vie dans la mesure où elle a pesé sur mes choix d’orientation. Après la mission Panthera, je me suis orientée vers la biologie est ai obtenu un master en écologie à Grenoble quelques années plus tard. Pendant mes d’études, je suis restée en contact avec OSI. J’ai suivi leur formation pour devenir éducatrice scientifique. En 2014, une mission était organisée avec des anciens participants. C’était une mission solidaire où on allait récolter des données sur la faune, mais également restaurer des camps de base dans la réserve de Sarychat. Très vite, le hasard de la vie a fait que j’ai pris la suite d’Anne Ouvrard comme éducatrice scientifique et responsable du programme de recherche et logistique.
Vous accompagnez depuis près de 10 ans des groupes sur les traces de la panthère des neiges au Kirghizstan. Comment se déroulent ces expéditions scientifiques ?
Nous partons pour 3 semaines. Pendant ces expéditions, nous récoltons des données sur la panthère des neiges et sensibilisons, les Kirghizes ou les occidentaux, sur l’importance de préserver la biodiversité et la panthère des neiges. Sur place, nous faisons de nombreuses observations, grâce notamment aux affûts, matin et soir. Nous n’observons pas que la panthère des neiges, nous récoltons des données sur toute la faune locale. On note les proies, notamment au niveau des naissances, afin d’estimer la quantité de nourriture disponible pour les panthères. On regarde tous les concurrents comme le loup, le lynx, le manul ou l’ours.
Avez-vous déjà vu la panthère des neiges ?
Il est très rare d’observer de visu la panthère des neiges. En dix ans, nous avons dû faire deux belles observations. Une première fois, en 2014 nous avons découvert deux bébés panthères de quelques mois et une autre fois un adulte, en 2018. Moi, j’en ai observé une pour la première fois l’année dernière, mais ce n’était que quelques secondes et à plusieurs kilomètres.
Concrètement, comment procédez-vous sur le terrain ?
Nous n’utilisons que des méthodes de suivi non-invasives pour la faune. On fait des transects, c’est-à-dire que nous partons à pied en suivant des lignes imaginaires, le long des cours d’eau ou des crêtes et barres rocheuses. Nous relevons tous les indices de présence des prédateurs. Cela peut être des empreintes, des grattages pour la panthère des neiges ou bien des excréments, poils, jets d’urine. Lorsque nous tombons sur des excréments de panthères des neiges, nous les prélevons une partie pour des analyses génétiques. Nous posons également des pièges photographiques que nous laissons à l’année. A partir des photos, nous reconnaissons les panthères grâce au dessin de leur pelage. Nous pouvons identifier chaque individu et suivre ses déplacements dans la réserve, avoir des données sur la reproduction…
La collecte de toutes ces données a-t-elle déjà fait l’objet de publication scientifique ?
Nous avons déjà publié une étude réalisée à partir de la valorisation des données issues des pièges photographiques de la réserve de Naryn. Le point fort de notre programme est que nous avons des données sur plusieurs années. Celles-ci sont récoltés 365 jours sur 365 et 24 heures sur 24 grâce aux pièges photographiques. Actuellement, nous sommes en train de préparer une publication faite à partir des données génétiques issues de l’analyse des excréments.
Entre 5000 et 6000 individus dans le monde
Il faut savoir que l’analyse génétique des excréments est très couteuse, soit environ 100 € l’échantillon. Généralement ce type d’étude est réalisé à l’occasion de thèse où l’étudiant s’y consacrent pendant 3 ou 4 ans, en fonction du financement dont ils disposent. Nous, nous avons la chance d’avoir des données récoltées sur 9 ans, ce qui est une première sur le suivi de la panthère des neiges, ici pour la population de la réserve de Sarychat (au Kirghizstan). A travers les excréments, nous cherchons à savoir qui était l’individu, si c’était un mâle ou une femelle, si nous l’avons déjà rencontré, s’il a des liens de parentés avec d’autres individus contactés… Nous essayons d’évaluer si la consanguinité commence à se mettre en place ou s’il y a encore des populations ouvertes avec assez de brassages génétiques. La population de la panthère des neiges est petite. Nous l’estimons entre 5000/6000 individus dans le monde, concentrés essentiellement en Asie Centrale.
Comment vous traitez-vous vos données ?
Lorsque je ne suis pas sur terrain, je m’occupe de l’analyse et de la valorisation des données. Nous avons également des chercheurs qui nous aident, ainsi que des bénévoles qui continuent, après leur mission sur le terrain, à nous aider. Des personnes nous ont déjà contactés pour l’identification des panthères, et sont, dans un deuxième temps, parties sur le terrain avec nous. Le travail de valorisation des données est énorme, mais nous tenons à le faire jusqu’au bout.
Sur le terrain, travaillez-vous avec les communautés locales ?
Oui, nous travaillons avec les garde-chasses des réserves, avec d’autres associations Kirghizes et nous partageons nos données. Pendant les expéditions, nous récoltons de nombreux éléments sur le lynx ou l’ours, mais nous ne les valorisons pas forcément. Ces éléments sont donc transmises aux associations locales intéressées. Enfin nos rapports scientifiques annuels sont transmis aux réserves et au gouvernement kirghize afin d’adapter au mieux les mesures de conservation.
Qui peut partir en expédition sur les traces de la panthère des neiges ?
Il faut être en bonne condition physique, avoir l’habitude de marcher en montagne, mais il n’est pas nécessaire d’être un grand sportif. Il faut avoir le pied sûr car nous sommes constamment sur des pentes escarpées et hors sentier. En revanche, nous ne sommes pas sur un rythme intense car, nous avançons au rythme des observations. Si nous sommes dans des zones où il y a de nombreux indices de la faune on va tout doucement le temps de prendre des notes ! Il ne faut pas non plus avoir peur des chevaux. Au Kirghizstan on se déplace à cheval car c’est le mode de déplacement local. Au Népal nous sommes avec des porteurs.
L’équipe est en totale autonomie et coupée du monde pendant trois semaines. Comment gérez-vous les urgences ?
Pendant toutes les missions nous sommes suivies pas SOS MAM, un service de l’IFREMMONT (Institut de recherche et de formation en médecin de montagne). Au Kirghizstan, nous évoluons entre 3000 et 4300 mètres en altitude, un des principal risque est le mal aigüe des montagnes. Tous les éducateurs ont fait une formation spécifique avec l’IFREMMONT. Ils nous recommandent une trousse à pharmacie et en expédition nous sommes en lien avec eux grâce à des téléphones satellite. Dès qu’il y a une urgence vitale ou besoin d’un avis médical, nous les contactons et ils ont la possibilité de nous guider sur les premiers gestes. Si vraiment la situation est grave, nous organisons le rapatriement sanitaire.
Quel est le profil des personnes qui partent en mission avec vous ?
Sur les missions d’été, nous avons beaucoup d’étudiants en école vétérinaire ou en biologie, écologie. Les personnes sont toutes passionnées par la nature et la montagne. Parfois elles font de la photo animalière. Les personnes qui nous rejoignent souhaitent vivre une aventure humaine et inter-culturelle, tout en ayant une action positive sur la protection de l’environnement. Il n’est pas rare que des gens reviennent sur nos missions. C’est important pour nous car cela nous permet d’être indépendant. L’ONG Objectifs Sciences international n’a pas de subvention. Seul le coût de la mission permet d’assurer la bonne marche du projet : financement des expéditions, collecte et valorisation des données, communication, gestion administrative…
Le point positif de ce système est que nous sommes indépendants sur le plan financier. Par conséquent, nous pouvons continuer les recherches sur les traces de la panthères de neiges aussi longtemps que nous le souhaitons et que des personnes partiront en mission avec nous.
Que diriez-vous aux personnes qui souhaitent tenter l’aventure ?
Que c’est une aventure humaine et scientifique formidable, utile pour la protection de l’environnement. Je dirai qu’il faut être motivés, capable de rester coupé du monde pendant 3 semaines, de vivre dans des conditions rustiques et d’accepter avec joie les imprévus mais que vous en reviendrez transformé !
Za Panthera !