Les dauphins de Rangiroa et l’écotourisme. Pamela Carzon, doctorante, travaille sur la communauté des grands dauphins de Tiputa à Rangiroa. Grâce à l’étude des interactions entre les Plongeurs / snorkeleurs et les dauphins, elle pose les bases d’un tourisme éthique pour l’observation des cétacés. En effet, le développement répété de comportements non éthiques avec les dauphins pourrait détruite l’activité touristique développé autour de cette communauté de dauphin.
Bonjour Pamela, peux-tu te présenter et dire ce qui t’a amenée à étudier la communauté des dauphins de Tiputa ?
Pamela Carzon : Bonjour, ça fait une quinzaine d’années que je vis en Polynésie française, et plus de 10 ans que je travaille sur la communauté des grands dauphins de Tiputa au nord de l’atoll de Rangiroa. Je suis passionnée par les cétacés depuis de nombreuses années et j’ai eu la chance travailler sur différentes espèces de cétacés comme les orques, avant de venir en Polynésie. J’ai décidé de poser mes bagages à Rangiroa parce que c’est un endroit magnifique et parce qu’il y a des comportements très intéressants entre les grands dauphins et les êtres humains.
Quelle est la spécificité de cette communauté de dauphins ?
Pamela Carzon : La communauté des grands dauphins de Rangiroa à plusieurs particularités et offre de nombreux points à étudier, que ce soit du côté des cétacés qu’au niveau des comportements humains. C’est une petite communauté d’une trentaine de dauphins qui vivent dans un milieu insulaire isolé. Certains d’entre eux sont résidents de la zone de Tiputa depuis près de 40 ans.
Le grand dauphin est une espèce emblématique
Ces grands dauphins sont soumis depuis plus de trente ans à des activités anthropiques, surtout touristiques. Or, ces activités ont provoqué, au fil des décennies, des changements comportementaux importants chez certains individus qui cherchent à s’approcher des humains. De plus, ces comportements, qui peuvent être étudiés de façon assez fine, se transmettent entre dauphins. Parallèlement, les êtres humains ont également cherché à entrer en interaction avec les dauphins. En effet, dans notre imaginaire le grand dauphin est une espèce emblématique sur laquelle nous projetons de nombreux préjugés positifs. C’est cet imaginaire qui a poussé les plongeurs à s’approcher des dauphins.
Tu étudies ces dauphins dans le cadre d’une thèse de doctorat. Quels en sont les principaux axes de recherche ?
Pamela Carzon : J’ai repris des études à travers l’Ecole Pratique des Hautes Etudes jusqu’au Master. J’ai pu ensuite continuer sur une thèse de doctorat sur laquelle je travaille actuellement.
Ma thèse s’appuie sur deux grands axes de recherche :
- Caractériser les interactions entre les dauphins et snorkeleurs/plongeurs pour définir un profil comportemental de chaque dauphin.
- Evaluer les risques de ces interactions répétées et rapprochées dans le temps, en s’appuyant sur des travaux déjà existants. J’étudie les risques à court, moyen et long terme, pour les dauphins, les êtres humains ainsi que pour l’activité touristique. A Rangiroa, on a observé une évolution des risques qui va de pair avec une familiarisation de plus en extrême entre les êtres humains et les dauphins. L’idée est d’émettre des recommandations, d’améliorer ces relations, et de mettre en place un véritable écotourisme dans la zone de Tiputa. Actuellement, nous ne pouvons pas parler d’écotourisme quand on voit le type d’interactions qui ont lieu à Rangiroa.
Certains de ces grands dauphins viennent au contact des plongeurs et des snorkeleurs. Comment ces interactions se sont-elles développées ?
Pamela Carzon : Certains dauphins de la communauté de Tiputa tolèrent ou recherchent un contact physique avec les plongeurs sous marins et les snorkeleurs. Mais cela ne s’est pas fait de manière spontanée, ni du jour au lendemain. Ce n’est pas issu non plus d’un processus magique ou d’une relation particulière entre l’homme et le dauphin. Cela s’explique par des processus comportementaux connus en éthologie, comme l’habituation et le conditionnement.
Le grand dauphin est flexible dans son comportement
Cela s’est mis en place de manière réciproque avec une volonté active de la part de certains plongeurs de réduire la distance avec cette espèce, de les rendre de plus en plus familier à notre présence. Le grand dauphin, qui est connu pour son répertoire comportemental flexible et opportuniste, a permis ce rapprochement.
Cependant, en observant les comportements au niveau individuel, nous nous apercevons que la situation est bien plus complexe. Au sein de la communauté de Tiputa, nous avons des individus confiants et aptes à s’habituer voire à être conditionnés à approcher les êtres humains, alors que d’autres vont éviter ou fuir, de manière répétée, notre présence. Certains dauphins présents sur la zone depuis 30 ou 40 ans ne s’approchent pas des humains.
Ces interactions entre les dauphins et les humains sont liées à l’histoire de la plongée sous marine
Ces interactions entre dauphins et êtres humains à Rangiroa se sont développées sur plusieurs décennies et sont intimement liées à l’histoire de la plongée sous-marine. Le premier centre de plongée à Rangiroa a ouvert ses portes au milieu des années 80. Selon de les dires de ces vieux plongeurs, les dauphins auraient commencé à s’habituer à notre présence dans leur habitat entre 5 et 10 ans plus tard. Actuellement, nous avons des dauphins, notamment de deuxième génération, qui viennent interagir avec les êtres humains. Les jeunes dauphins sont plus aptes à s’habituer aux situations nouvelles et viennent interagir régulièrement avec les plongeurs et les snorkeleurs.
Tu évoques notre vision anthropomorphique des dauphins. Que veux tu dire exactement ?
Pamela Carzon : L’anthropomorphisme, en gros, c’est l’attribution de caractéristiques et d’émotions humaines des individus appartenant à d’autres espèces. Le grand dauphin a ce sourire qui lui donne un aspect joyeux en permanence. Or, il ne s’agit que d’un attribut morphologique. Entre ce « sourire” et les médias qui nous ont bercés avec Flipper et le Grand Bleu, nous avons développé des préjugés sur ces animaux.
En Occident, on s’attache à un imaginaire anthropomorphique avec le dauphin
On oublie qu’il s’agit d’animaux sauvages, de prédateurs qui peuvent être potentiellement agressifs. Il peut y avoir des accidents entre les êtres humains et les dauphins, que ce soit en captivité ou en milieu naturel. Dans la culture occidentale, on a tendance à éluder le côté prédateur du dauphin pour s’attacher à un imaginaire anthropomorphique. Le grand dauphin a une aura très positive, alors qu’en fait on le connaît très mal. On se contente de cet imaginaire construit autour du dauphin. Or, cela peut donner lieu à des comportements hyper risqués, notamment en milieu naturel.
Aujourd’hui, les dauphins de Tiputa deviennent une attraction touristique. Ne peut-on pas craindre des dérives ?
Pamela Carzon : Depuis une quinzaine d’années, les dauphins de la passe de Tiputa à Rangiroa sont l’attraction touristique principale, notamment des plongeurs sous-marin. Le problème c’est que ces activités d’observation et d’interaction avec les dauphins ne sont malheureusement pas encadrées de la manière la plus éthique. On observe des comportements assez aberrants au quotidien. Ces comportements augmentent les risques de façon significative. Des risques pour les animaux et pour les êtres humains.
Quels sont les risques d’une trop grande proximité entre les usagers de l’océan et les dauphins de Tiputa ?
Pamela Carzon : On a un certain nombre de risques qui ont été mis en évidence dans le cadre d’interactions très familières entre les dauphins et les êtres humains. Pour les dauphins, il y a des risques liés à l’habituation. Nous remarquons une baisse de vigilance de la part de certains individus vis-à-vis des activités humaines. De façon générale, la modification des comportements des animaux sur une longue durée peut être délétère pour toute la communauté.
Une trop grande proximité entre dauphins et être humains comporte des risques
On a un risque de transmission de maladies. En effet, des pathologies sont communes au grand dauphin et à l’homme et sont donc transmissibles de l’un à l’autre. Pour des animaux devenus très familiers, il peut y avoir des comportements qui peuvent impressionner des touristes qui n’ont pas envie d’avoir cette proximité. Il y a des endroits où lorsque les dauphins sont devenus trop familier, il ont été considérés comme une nuisance et ont été détruits de façon brutale. A partir du moment où on familiarise trop avec les dauphins, on les rend plus vulnérables aux êtres humains.
Le grand dauphin est un prédateur
Nous avons également des risques pour les êtres humains. Le grand dauphin est un prédateur qui peut peser plus de 400 kilos. Il faut savoir qu’entre les dauphins, on peut avoir des comportements affiliatifs, mais également agnostiques 1 avec des conflits récurrents, des postures d’intimidation et des collision directes. Ces comportements peuvent être étendues aux êtres humains qui fréquentent de manière quotidienne l’habitat des dauphins. Sur la zone de Tiputa à Rangiroa, on observe très souvent des tentatives d’intimidation et d’agression, de la part de certains dauphins. Ailleurs dans le monde, il a été observé des collisions directes avec des gens qui se sont faits très très peur. On retrouve des risques spécifiques à l’activité de plongée.
Devant un dauphins, des plongeurs oublient les règles élémentaires liées à la plongée
Dans l’euphorie de la rencontre avec les dauphins, des plongeurs oublient toutes les règles élémentaires liées la plongée. On peut voir des personnes qui remontent en surface en catastrophe, d’autres qui descendent trop en suivant des dauphins. Ils vont partir de 15 mètres de profondeur et aller jusqu’à 40/50 mètres de profondeur. On peut avoir des gens qui vont jouer avec les dauphins et qui s’essoufflent, ce qui peut être problématique en plongée.
On risque, à vouloir trop manger, de tuer la poule aux oeufs d’or
Si par malheur il y a un accident grave, impliquant un être humain et un dauphin, il y a tout simplement le risque de la disparition de l’activité touristique. On risque, à vouloir trop manger, de tuer la poule aux oeufs d’or. C’est dommage, car nous avons ici un cadre exceptionnel propice à l’observation des grands dauphins et à leur étude. Il ne faudrait pas que la passe de Tiputa se transforme en delphinarium avec des comportements non éthiques.
Est-il possible de développer l’écotourisme avec les dauphins de Rangiroa ?
Pamela Carzon : Il est tout à fait possible de développer une activité touristique éthique avec les dauphins de Rangiroa. Un tourisme qui respecte le bien être des animaux, la sécurité des usagers de la mer, tout en pérennisant l’activité sur le long terme. Nous pourrions nous inspirer de l’écotourisme. L’écotourisme repose sur 3 piliers : la conservation des espèces, la dimension éducative pour les touristes et le bénéfice aux populations locales.
A Rangiroa on a une activité de consommation des dauphins et de leur environnement
A Rangiroa, malheureusement, on n’en est pas encore là. On a plutôt une activité de consommation des dauphins et de leur environnement qui ne correspond pas aux valeurs de l’écotourisme. L’écotourisme est un terme qui a beaucoup été galvaudé. Il ne faut pas le confondre avec tourisme animalier ou le tourisme nature. L’écotourisme est un « buzz word ». On l’utilise aujourd’hui pour qualifier tout et n’importe quoi. Il faut bien se renseigner avant de s’engager dans ce type d’activité, pour faire en sorte de ne pas participer à une activité délétère pour les animaux et leur environnement.
L’objectif est d’intervenir le moins possible, de se considérer comme invité
L’idéal, sur la zone de Tiputa, ça aurait été de s’arrêter à la phase d’habituation. Celle-ci permet en effet d’observer les animaux dans leur milieu naturel, d’avoir accès à leur comportement et de pouvoir les étudier. L’objectif est d’intervenir le moins possible, de se considérer comme invité et de ne pas « consommer » du dauphin.
Pour ton travail de terrain, tu fais appel à des écovolontaires. Quel est leur rôle, leur activité ?
Pamela Carzon : Avec l’association, on a décidé de développer le concept d’écovolontariat, qui rentre dans le cadre de l’écotourisme. Cela permet de montrer l’exemple en prouvant qu’une observation éthique est possible. Nous ne sommes pas obligés de « consommer » du dauphin pour avoir des observations très interessantes. Cela permet d’impliquer des personnes qui ne sont pas forcément sensibilisées aux thématiques sur lesquelles on travaille pendant deux semaines.
Les écovolontaires sont formés au travail de terrain, à la reconnaissance des dauphins et à l’analyse des données collectées
Les écovolontaires découvrent un milieu et une espèce qu’ils ne connaissent pas forcément. Cela permet de repartir à zéro et de sortir des préjugés que de nombreuses personnes ont sur les dauphins. Les écovolontaires découvrent également les autres espèces comme les requins, très nombreux à Rangiroa. Ils sont également formés au travail de terrain, à la reconnaissance des dauphins et à l’analyse des données collectées.
L’écovolontariat permet de former, de sensibiliser et d’impliquer
L’écovolontariat permet de former, de sensibiliser et d’impliquer des gens dans norte travail associatif, tout en montrant qu’il est possible de proposer d’observer les animaux sauvages dans leur milieu naturel d’une manière plus éthique. Les écovolontaires sont transformés par leur mission. Transformés de part leur rencontre avec les dauphins, qui a une dimension émotionnelle, et parce qu’ils se sont remis en questions sur les préjugés qu’ils pouvaient avoir sur ces animaux
1 En éthologie, un comportement agonistique désigne l’ensemble des conduites liées aux confrontations de rivalité entre individus. Ce comportement qui englobe l’agression (attaque, comportement de menace, défense) et la fuite. On oppose souvent Le comportement agonistique au comportement affiliatif qui est la recherche d’interaction pour socialiser.