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Honduras : la mangrove en danger

Tour du monde d’une écovolontaire : la maison aux iguanes
Aurel discute avec deux jeunes policiers récemment arrivés sur l’île.
«– Il y a eu une bagarre hier soir dans un bar, raconte l’un d’eux
– Ah bon
– Oui, une bagarre entre deux filles…
– Ça c’est bien terminé j’espère
– Pas de problème, nous sommes arrivés et pan ! pan ! pan !
– Comment ça pan, pan, pan…
– On a tiré et terminée la bagarre !
– Tu as  bien compris ce qu’ils ont dit, me demande Aurel
– Je crois bien…
– Ils ont tiré avec une arme à feu dans le plafond en pleine soirée halloween… Ils ont aussi demandé si on pouvait les accompagner dans la mangrove. Pour une visite privée. Ils veulent découvrir l’intérieur de l’île pour mieux connaître ses richesses
– C’est bien qu’ils s’intéressent aux questions écologiques.
– C’est ce qu’ils disent… Et si nous traversions la mangrove demain ? »

Univers boueux et impénétrable
Départ pour Rock Harbour. Répulsif, moustiquaires de fortune, chapeaux, chemise à manche longue, pas un centimètre de peau ne doit dépasser. En revanche, les bottes en caoutchouc sont bannies, au risque de terminer la traversée pied-nu, et les baskets bien arrimés aux chevilles. Les deux jeunes policiers sont au rendez-vous à 14 heures précises et ne cachent pas leur amusement de nous voir ainsi attifés.
Je cherche les raisons réelles de leur démarche et, par la même occasion teste mon espagnol. Je finis par discuter avec le plus jeune d’entre eux, et comprends qu’ils souhaitent repérer les lieux pour mieux traquer les chasseurs, apparemment il y en aurait beaucoup. Nous arrêtons notre discussion au moment même où nous rencontrons les premières difficultés, lorsque le sentier se perd dans un dédale de racines. Devant nous se dresse un mur, un rideau de lianes. Fière et majestueuse, telle une pieuvre géante, la mangrove nous invite dans son univers boueux et impénétrable. Si jusque-là j’ai surtout foulé le sol de la mangrove noire ou blanche, ici nous évoluons non sans mal dans la rouge, formée de racines échasses plantées dans un sol marécageux.

Là encore, se mouvoir dans cet enfer végétal est tout un art pour celui qui souhaite garder ses pieds au sec… Il faut rester aérien, comme les racines, sauter de branche en branche, repérer sous l’eau noirâtre le petit bout de bois qui vous évitera de vous embourber, de sombrer dans ce milieu qui n’est ni terre ni mer. Impossible de nager, impossible de marcher normalement. Et ne vous imaginez pas sortir immaculé de cette usine aux échanges gazeux complexes et vitaux. La mangrove ne vous laisse pas au sec très longtemps, la chute est inévitable, à un moment ou à un autre nous mettons toujours le pied là où il ne faut pas.
Finalement, le plus simple est d’accepter d’avancer dans cette eau boueuse dégageant une forte odeur, de cheminer dans l’incertitude d’un sol pouvant se dérober à tout moment, sous chaque pas. Mettre un pied devant l’autre n’est pas toujours chose aisée.
Nous arrivons, couleur mangrove, sur la plage de Rock Harbour. Le lagon et ses eaux limpides sont les bienvenus, le cadre est paradisiaque.
– Si nous faisions du tir ici ? Aurel on peut faire du tir le site s‘y prête non ? Demande un des policiers.
– Je ne préfère pas vraiment, je dois quand même assurer la sécurité des bénévoles… Et si nous sommes ici, c’est aussi pour la mangrove, pour la préserver en sensibilisant encore et toujours la population.

Les forêts de palétuviers sont aujourd’hui menacées dans le monde entier. Leur surface a diminué de 1708 000 hectares entre 1990 et 2000. Il est désormais admis par les scientifiques que si la mangrove n’avait pas été systématiquement détruite, des milliers de vies auraient été sauvées Le 26 décembre 2004, lors du tsunami. Sur l’île de Nias, la population a mieux survécu car elle se trouvait derrière la mangrove et pourtant, Nias était à proximité de l’épicentre.

Utila côté riche.

Utila n’est pas épargnée par la vague destructrice. Non, pas le raz-de-marée, l’urbanisation à tout va, la folie du béton.
Utila côté riche. Une zone en pleine expansion avec son lot de belles villas disposant d’un accès direct à la plage. La plupart sont encore en construction et déjà des murs se dressent le long du chemin pour mieux préserver la tranquillité des heureux propriétaires. Ici, on circule en voiture de golf… les vélos c’est pour les pour pauvres. J’aperçois deux bichons frisés tenus en laisse, les chiens galeux ont sans doute été repoussés, de même que la mangrove laissant place à de nouveaux terrains constructibles. Dans ce quartier chic sorti de terre avec l’arrivée de l’électricité, vous pouvez traverser la mangrove en chemise blanche, les pieds au sec. Du moins, ce qu’il en reste. Toute la zone a été asséchée. Quelques racines assoiffées s’accrochent encore à la terre, mais les crabes, les iguanes et les fleurs ont déjà disparu.

– Je ne comprends pas, ils en ont rien à faire de la mangrove ! se révolte Aurel
– Qui « ils », je demande
– Les investisseurs, les gros promoteurs immobiliers, toujours les mêmes »
Nous passons la soirée chez Mario. A chaque pleine lune, il fait des grillades sur la plage. Nous sommes cinq à déguster les brochettes de crevettes à la lueur de l’astre, les pieds dans l’eau, avec pour unique compagnie les crabes.
– Pourquoi tu ne fais pas un article là-dessus, me suggère Edouardo, un nouveau bénévole arrivé de Tegucigalpa.
– Parce que je ne sais écrire qu’en français
– Je connais des gens au Honduras qui parlent parfaitement le français et qui pourraient traduire.
– Et moi je pourrai t’introduire auprès de certaines personnes sur l’île, renchérit Aurel.

En voilà une bonne idée.

Construction sans permis

Ma première interlocutrice restera anonyme comme les autres… « Au Honduras, on ne rigole pas avec l’argent ! ».
J’enquête sur une histoire de destruction de mangrove pour la construction d’une marina… et, parait-il, sans permis. Mais bon ça, je ne l’ai pas encore prouvé. Toujours est-il que la mangrove est protégée par une convention internationale. Ce qui signifie que le seul permis accordé par la municipalité ne suffit pas.
Éternel recommencement de l’histoire du pot de terre contre le pot de fer.
“C’est le moment d’investir”  lit-on sur le site internet d’une grosse société immobilière. Le même site vante aux éventuels clients les diverses facilités, afin d’obtenir un titre de résidence, ainsi que la détaxe dont ils pourraient bénéficier. Les photos qui illustrent ce discours font miroiter un “paradis” de sable blanc sur fond de palmiers et cocotiers, semblable aux images des brochures des agences de voyages. Le créneau de l’entreprise est donc bien ciblé ; vendre du rêve aux citadins de ce monde, le rêve d’être propriétaire d’un terrain et d’un emplacement pour bateau sur une île paradisiaque.
Mais… car il y a toujours un mais, derrière les pages virtuelles d’internet, se cache une toute autre réalité.
Nous décidons avec Aurel d’aller sur place. Le spectacle est désolant. La mangrove a été remplacée par des cocotiers admirablement alignés, la terre asséchée et comblée par des graviers. Certes, ce paysage peut paraître esthétique, mais tout cela est complètement artificiel. Les engins, dragues et tractopelles, continuent leur travail, broyant à vif la mangrove. A l’arrière des terrassements, nous apercevons encore les racines des palétuviers, se mourant désormais dans un sol sec quasi-stérile.
Le même événement en France aurait déjà provoqué la ire générale avec sont lot d’associations écologiques très bien rodées à l’exercice. Mais ici nous sommes au Honduras, c’est l’omerta… S’élever ouvertement contre un tel projet n’est pas si facile.

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