—Mystère des nuits tropicale (2)—
Les nuits tropicales sont douces, mystérieuses, parfois dangereuses, elles ne vous laissent jamais indifférent. La forêt se transforme en un royaume noir, épais, moite. Traverser la jungle la nuit, c’est un peu pénétrer dans une forteresse dans laquelle vous êtes tout juste invités. Une forteresse si sombre que le clair de lune ne vous est d’aucun secours, un château avec ses règles, ses habitants, ses reines.
Nous escaladons une paroi rocheuse de six mètres environ et atteignons l’entrée d’une caverne. Il est cinq heures du soir, la lumière décline et les reines de la nuit s’apprêtent à sortir. Nous nous enfonçons lampe torche la main dans le réseau souterrain de Pumpkin Hill. Des milliers de chauves-souris volent, silencieuses et rapides, elles surgissent des cavités admirablement guidées par leur radar interne, contournant le moindre obstacle avec une rare agileté, nous effleurant sans jamais nous toucher. C’est une atmosphère étrange, à la fois féerique et lugubre, que dégage cette grotte animée d’une intense vie à l’abri de tout regard.
Le ballet des chauves-souris
Nous sortons dans la pénombre en même temps que ces mammifères mythiques, descendant, un par un, la paroi rocheuse, cherchant scrupuleusement des prises fermes et solides. Une fois en bas nous restons un moment à observer le ballet des chauves-souris sortant par centaines, puis rebroussons chemin, Aurel en tête… C’est le seul capable de nous ramener sans se perdre, sans rester prisonnier de cette masse désormais noire au chant austère et à la respiration sourde. Cette nuit-là, le souffle de la jungle n’est dérangé que part nos pas rapides et les bruits de la vie nocturne. Nous rencontrons, à la plus grande joie des biologistes du groupe, d’autres créatures de la nuit, une grenouille qui vit dans les arbres et une chouette.
« On ne l’a pas encore dans notre base photos fait remarquer Aurel. Essaie de la prendre… Doucement ! Doucement tu vas l’effrayer ! »
Je m’avance à pas de velours, car la photographe de la bande c’est moi ! Je fixe derrière mon objectif ces deux immenses yeux jaunes manifestement scandalisés d’être dérangés, déclenche une fois, deux fois tout en continuant à m’approcher. Les yeux jaunes sont de plus en plus grands, puis ils disparaissent dans la nuit utilienne. Nous ne tardons pas à entendre l’échos du reagge tolls… La nuit ne fait que commencer.
Douce ivresse des îles
Trois gros mensonges hanteraient Utila, “I love you” “demain je pars” et “ce soir je ne bois pas”. Ici le chant des sirènes, ou des vautours je ne sais plus, est très fort. Il y a comme un doux vent de folie qui souffle sur cet île, dans ce paradis de la plongée pas chère laissant certains errer pour longtemps dans les profondeurs abyssales. Trop de soleil sans doute. Je reconnais de suite cette espèce très particulière qu’est l’Occidental dit tropicalisé, flétri avant l’âge. Douce ivresse des îles, les soirées utiliennes sont celles d’un bateau ivre traversant des océans de rêve jusqu’à l’aube… tanguant, roulant sur des rythmes de reggae. Nous sommes au Coco Loco, la terrasse du bar s’avance sur l’eau dans la nuit noire à la façon d’un paquebot. Il n’y a rien de branché ni de fashion ici, nous sommes au paradis des fauchés et des voyageurs au long cours, la bière est à un dollar. Les strass et les paillettes sont restés dans les armoires, sur un continent.
De drôles d’oiseaux font leur apparition puis s’en vont tandis que d’autres espèces beaucoup moins recommandables sont à éviter, comme ce chasseur d’iguanes à la peau burinée par le soleil et rongée par l’alcool, errant de bar en bar…
-« Tous au bar the Bush ! ».
Bar the Bush, c’est la face sombre de l’île. Situé en hauteur à l’orée de la forêt, vous y arrivez après une belle suée à vélo, et, conseil d’amis « quelques verres dans le nez c’est plus prudent ! »
Reaggae tolls
Vous avancez parmi les fêtards déjà titubant sous l’effet de l’alcool et de la drogue, traversant le nuage de fumée des barbecues. Ambiance glauque sur fond de reaggae tolls. Au milieu de la foule, nous nous dispersons, nous perdons car il n’y a pas d’éclairage. Seul Aurel tente de garder un œil sur l’iguana station family. Il connaît bien l’île et ses pièges, ça fait presque un an qu’il la fréquente. A cet instant-là, je préfèrerai être seule perdue dans la jungle en pleine nuit. Dans la vraie jungle, avec les araignées et les chauves-souris. J’aperçois Mirjiana, qui ne semble pas plus apprécier l’endroit que moi. Nous décidons de rentrer.
-« Ne redescendez pas, » tente de nous expliquer Michael « un peu plus haut, il y a un chemin de traverse qui rejoint la station directement. Prenez-le »
Nous prenons le chemin de traverse. Sauf qu’il n’est pas éclairé, que nous n’avons pas nos lampes, qu’il a plu, que les ornières sont énormes et boueuses. Boire ou conduire il faut choisir. Boire ou pédaler la nuit dans la jungle, Nous n’avons pas le choix. Nous pédalons, pédalons avec les dernières forces qu’il nous reste dans une nuit déjà bien avancée. Aller le plus vite possible, c’est le seul moyen de ne pas s’embourber !
Nous prenons quelques giclées de boue et arrivons à la station. Intactes ! On ne s’est même pas pris un arbre ! Les vélos devaient connaître le chemin. Je prends une douche, m’écroule sur le lit…Je n’ai jamais aussi bien dormi qu’en ce moment. Le sommeil est lourd, réparateur, bienfaisant. Dans quelques heures, avec les premiers rayons du soleil, je serai en pleine forme.