—La plage respire à nouveau—
Pas une parcelle de plage de sable blanc n’est épargnée par le cortège de détritus échoués sur l’île au gré des courants marins. Intoxiqué, malade, l’océan déborde et rejette où il peut cette pollution. C’est à se demander si toutes les poubelles du continent ne se déversent pas sur l’île aux iguanes. Utila décharge géante ? Fut un temps où la mangrove suffisait à éliminer les ordures des habitants de l’île. La mangrove, cet écosystème complexe, d’une extrême richesse, servait à la fois de tout à l’égout, de barrière contre les ouragans et de garde-manger. Mais aujourd’hui, c’est un peu comme l’océan, elle a du mal respirer, elle a besoin d’aide tout comme ces belles plages de cocotiers.
Journée nettoyage
Ceux et celles qui se remettent de leur folle soirée au Bar the Bush ou autre lieu nocturne, et ils ne sont pas nombreux, reprennent leur vélo de bon matin pour participer à une journée nettoyage, organisée par une école de plongée. Nous sommes, avec Emmanuelle et Félix, trois à nous diriger au nord de l’île vers la plage dite de l’aéroport, située en bout de piste. Le spectacle est affligeant. Cadavre de bouteilles de soda, emballages de fast food, chaussures, jouets, seringues, l’île croule sous les détritus, sous ce surplus issu de la civilisation, cette part du monde que l’on jette car elle nous embarrasse.
Si dans des milliers d’années des archéologues ont le loisir de se promener dans cet endroit merveilleux, ils ne reviendront pas déçus, leurs carnets seront probablement remplis d’annotations sur les traces de la civilisation du XXIe siècle !
L’appel lancé par l’école de plongée a été entendu. Nous sommes près d’une vingtaine, armés de sacs, à partir, une fois de plus, à l’assaut des poubelles, dans la joie et la bonne humeur ! Nous nous connaissons quasiment tous, ni touristes ni Utilien, notre point commun est de faire une escale prolongée sur ce radeau ivre posé sur la mer des Caraïbes. Arrivés des quatre coins du monde occidental, de ces villes étouffantes où sont justement produites ces tonnes d’ordures ménagères, nous avons, sans doute, besoin d’un grand bol d’air ! Besoin d’éliminer les toxines du monde moderne. Nous sommes nombreux, ici, à avoir largué les amarres, dis non à quelque-chose, tranché des liens aliénants.
Le ciel se colore
Après quatre heures de travail sans relâche, la petite crique a une toute autre allure. Reste à évacuer les dizaines de sacs poubelles. Ça va prendre du temps, c’est sûr, mais quelqu’un finira bien par trouver un camion. Quant à la plage, il est fort à parier qu’elle croule à nouveau sous les ordures dès la prochaine tempête. Peu importe de quoi sera fait demain, aujourd’hui elle est belle, elle respire. Nous désaltérant à grande eau, nous contemplons notre travail. C’est une victoire et aussi fugace soit-elle, elle est la preuve de la possibilité d’agir, d’entreprendre quelque-chose. C’est une petite parcelle de liberté gagnée !
Le soleil décline. Le ciel se colore, la mer rosit, les derniers rayons réchauffent les cœurs, Utila se transforme en un doux cocon chatoyant aux lumières chaudes de fin de journée, aux nuages lourds prêts à craquer. Accompagnés d’une légère brise,
nous nous jetons dans une course folle sur la piste de décollage, cheveux au vent, savourant ce désir de liberté, du tout est possible, rêvant d’un monde meilleurs… Un avion arrive. C’est le vol du soir. Les vélos engagés sur la piste deviennent hordes de chevaux sauvages au galop traversant les plaines pour fuir l’ennemi. Rien ne peut les arrêter animés qu’ils sont par leur instinct, la fureur, la passion de vivre.
Les nuages sont couleur d’encre ce soir, épais, chargés d’eau, chaque jour ils deviennent un peu plus menaçants. L’humidité est pesante, la végétation plus exubérante que jamais, les fourmis grimpent aux murs des maisons, les tarentules et les scorpions rentrent dans nos chambres et nos chaussures…
Ça sent la saison des pluies. Je dirai même que c’est imminent.
-« Si nous allions au Castillo ce soir, un groupe de rock doit s’y produire, ça changera du reggae »
– « Ok » je réponds
– “Vous y allez vous au Castillo ?”
– “Oui”
– “A quelle heure ?”
– “20 heures précises”
Et pour Aurel, avant l’heure c’est pas l’heure, après l’heure c’est plus l’heure.
– “Ok, ne nous attendez pas on vous y rejoindra avec Emmanuelle.”
20h15 une première rafale nous décoiffe. 20h30, le halo de lumière du village se renforce, 20h35 on entend au loin le crépitement des feuilles, 20h36 on distingue dans la nuit le rideau de pluie, 20h37 le bruit des gouttes d’eau sur les feuilles se rapproche dangereusement, 20h40 on ne s’entend plus parler dans la maison de bois couverte d’un toit de tôle… Coup d’envoi de la saison des pluies ! Nous aurions dû partir plus tôt au Castillo. Le ciel déverse d’un coup des litres d’eau accumulés avec toute la violence des averses tropicales. Nous sommes là, sous le porche d’entrée en attendant une accalmie… qui ne vient pas et ne semble pas s’annoncer avant un bon bout de temps. La pluie s’abat avec fracas sur la tôle, détrempe tout, s’infiltre déjà sous le plafond, le vent souffle par rafales. Le début de la saison des pluies, c’est toujours un spectacle. Quelque part c’est la vie qui reprend, la douche qui vous sort de votre torpeur moite ! La Terre qui d’un coup vous réveille ! La fureur de vie qui déteint sur vous !
Nous allons au Castillo !
Le chemin s’est déjà transformé en ruisseau, que dis-je en un torrent de boue et la visibilité est très faible. Ce n’est pas grave, les vélos semblent connaître le chemin mieux que nous, il n’y a cas se laisser guider pour la descente, les dos d’ânes nous indiqueront l’arrivée. Nous essuyons les trombes d’eau, prenons de belles giclées de boue dans les jambes et arrivons trempes certes mais intactes, dans cette petite bâtisse aux accents européens dont le cuisinier, un Marseillais, nous promet de concocter prochainement un bœuf Bourguignon. Il a déjà reçu le vin d’Argentine.