Tour du monde d’une éco-volontaire : le village des tortues de Gonfaron (1/7). Le sac à dos est bouclé à la hâte. Je ne prends que le strict minimum, suis légère sur la pharmacie car je reste en France. Un deuxième sac à dos, plus petit et positionné sur le ventre, prend un peu plus de temps avec l’ordinateur l’appareil photo les câbles divers et variés.
Je monte dans le train et file vers Gonfaron en écoutant de la musique tahitienne, me laissant glisser dans une douce torpeur accompagnée des chants d’Emma de la fameuse belle époque et Tahiti Talk « De l’autre côté du monde ». Le train s’enfonce dans un décor de plus en plus méditerranéen, laissant apparaître les premiers pins parasols et les chênes lièges plantés sur les falaises de calcaire blanches.
Gonfaron. Un petit village provençal avec ses vignes, ses cigales, et ses tortues… d’Hermann.
De jeunes bénévoles m’accueillent, nous passons une première soirée sympathique et abordons des sujets qui me paraissaient bien loin vu de la Polynésie. CPE, grève, manifestations d’étudiants, j’écoute tout cela avec beaucoup d’intérêt. Ils écoutent à leur tour mes histoires d’indépendance de la Polynésie française, de Tahitiens obèses qui préfèrent aller dans un « fast food » que de manger du poisson, mais aussi de ceux qui savent encore survivre sur un atoll avec quatre cocotiers en allumant du feu avec un morceau de bois frotté contre la fibre de coco…
Coup de foudre pour Mme Hermann
Le village s’éveille sous un soleil d’été. Les tortues sortent de terre. Découpe de la salade, des légumes, nourrissage, soin à la clinique, entretien de la serre, du terrarium, sans oublier le snack , la boutique et les visites guidées. Y’a de quoi faire ! Les compétences se passent de bénévole en bénévole et on apprend à gérer un village de tortues en quelques jours… ou presque. De 17 à 65 ans, tout ce beau monde travaille ensemble en échange d’une chambre et des repas. Rien n’est vraiment organisé, chacun trouve sa place comme il le peut dans une joyeuse pagaille. Et finalement, c’est très bien comme ça. Tout roule comme sur des roulettes. A midi, tout ce beau monde se retrouve autour d’un grande table en bois ; Bénévoles, scientifiques, responsables animalier et fondateurs.
Une espèce en danger encore à l’abris dans le massif des Maures
Belle histoire que ce village créé en 1988 qui ne reçoit pas moins de 111 000 visiteurs par an. Histoire d’une rencontre, d’un passionné et surtout d’un triste constat : la tortue d’Hermann, dont le dernier bastion est le massif des Maures au cœur de la Provence, est en danger. Pourtant, fut un temps où madame Hermann gambadait dans le maquis et la garrigue avec nombre de ses congénères, sans craindre particulièrement la présence de l’homme. Un temps que les moins de vingt ans n’ont certes jamais connu… lorsque les cultures en terrasses étaient en bon état et régulièrement entretenues.
Mais la pression humaine a fini par avoir raison de la dame de la garrigue. Incendies, prélèvements, urbanisation, mis en danger de la biodiversité. Les populations de tortues ont à peine résisté au rouleau compresseur de la civilisation.
Puis il y eut une rencontre, une histoire d’amour entre la dame et lui. Lui, il s’appelle Bernard. Il arrive tous les matins au village peu avant 9 heures telle une tornade, alors que les bénévoles ont encore le nez dans le café, en hurlant « ouvrez la grille, il y a des visiteurs qui attendent ! ».
A chaque jour son combat
Il y quelques années, alors qu’il se promenait dans la garrigue, il croisa le regard d’une tortue, et là, ce fut le coup de foudre. Je ne l’invente pas, il a écrit dans un de ses livres. Depuis, il leur voue sa vie. Avant la construction de l’autoroute qui traverse la plaine des Maures, il a ratissé, avec ses acolytes, des hectares de garrigue afin de sauver plusieurs populations. Il pourrait reprendre une bataille de cet ordre dans quelques années, mais cette fois-ci pour le TGV au cas où il traverserait la plaine.
Hier, il était au Sénégal dans un village semblable à celui de Gonfaron pour travailler sur la conservation d’une espèce locale, les sulcata, aujourd’hui il débarque les commissions pour la tambouille de midi, demain, il pensera à l’avenir des reptiles avec toute son équipe. Il vous apprendrait qu’une tortue est un animal sauvage, indépendant, avide de liberté. Alors le message est clair : « Lors des visites guidées dites surtout aux enfants, mais aussi aux adultes, de ne jamais capturer une tortue pour la garder dans son jardin ! »
La visite guidée c’est un peu le passage obligé pour chaque bénévole, il faut ingurgiter les noms des espèces (hermann, radiata de Madagascar, pardalis, sulcata) en quelques heures, en savoir un minimum sur leur comportement… mais au village ont fait confiance d’entrée… Pour une seule et même cause, la liberté des tortues !
Histoires folles de tortues
Tortue par-ci, tortue par-là, matin, midi et soir, autour de la table, jusqu’aux appels téléphoniques où nous avons encore droit à des histoires de tortues. Encore de belles perles. Morceaux choisis :
« – Village des tortues bonjour, - Bonjour, je ne comprends pas, ma tortue elle ne bouge pas, ne sort plus la tête et elle pue. Que se passe-t-il ? - Elle est morte votre tortue - Ah bon ça meurt une tortue ? »
« – Village des tortues bonjour - Bonjour, c’est « fugueux» une tortue ? Figurez-vous que la mienne, je l’avais attachée par la carapace avec fil de fer, eh bien elle s’est échappée. Il ne reste plus que la carapace - Je crois bien qu’elle est morte votre tortue… Un renard a dû la manger.» -
« Village des tortues bonjour - Bonjour, ma tortue pond des lézards, c’est normal ? »
Les vieilles dames et les tortues
Certaines de ces histoires sont plus attachantes comme cette vieille dame qui en prenant de l’âge s’inquiète du devenir de sa tortue, qui lui survivra probablement. Ou encore celle de la doyenne du village, âgée de plus de cent ans. Une femme l’a portée au début des années 2000, elle la tenait d’un chef de village africain, qui lui-même l’avait reçue de son père. Ah si les tortues pouvaient parler ! Il y en a un milliers au village, arrivées à la suite d’accident de la vie, tondeuse à gazon, morsure de chien ou saisies sous douane. Simplement, elles n’émettent de bruits que lors de l’accouplement, à la tombée de la nuit, lorsque la brise rafraîchit l’atmosphère, que la petite équipe de bénévoles se pause enfin, savourant la douceur de la Provence, accompagnée du chien du village, Margie un labrador bien en chair qui ne ferait pas de mal à une tortue. Moment de convivialité avant que tout le village ne s’endorme. Il est minuit, les lumières s’éteignent, seul le tirex de la bande son du parcours paléontologique hurle au loin dans la nuit noire.